Roxane est un personnage emblématique, épris de liberté, de libre arbitre, et qui à ce titre ne peut se satisfaire de la condition qui est la sienne, dans le sérail d’Usbek à Ispahan. Roxane est une figure tragique qui clôt les « Lettres persanes » transformant sa propre mort en victoire. Roxane est une femme au milieu d’autres femmes. Leur présence interpelle. Sur 162 lettres que comporte l’œuvre de Montesquieu, 24 sont en effet consacrées à ce que l’on appelle le roman du sérail. Elles nous amènent à relativiser l’approche de cet esprit éclairé soucieux de découvrir de nouveaux horizons au cours d’un périple de plusieurs années.
C’est un questionnement sur la femme, sur sa place dans cette société orientale que suscite Montesquieu, apportant à travers ces bribes d’existence un contrepoint à son personnage principal.
Voilà. Notre réflexion a commencé là. Et après ? Comment rapporter tout ceci sur un plateau ? Avec Hélène, nous sommes partis sur des chemins de traverse. Nous avons peigné le roman en nous laissant porter par la rencontre entre le texte, le plateau et des éléments propres à nos univers respectifs, pour ne pas proposer de restitution historique, mais plutôt pour rendre compte d’une multiplicité de points de vue, dans une approche polyphonique. Donner à voir, à entendre, utiliser le matériau scène, le corps, le mouvement, la voix.
Sur les 24 lettres du « roman du Sérail », huit ont franchi cette épreuve et se sont positionnées dans un ordre qui, loin d’être pré déterminé, s’est imposé dans la surprise de séances de recherche et de séquences de jeu. Le Projet Roxane est ainsi né, a pris la forme d’une performance qui dépasse les âges, déroute et interroge.
Gilles Cauchy, metteur-en-scène
Les Lettres persanes se situent dans un autre monde, un autre temps… Dans le choix que nous avons fait de n’utiliser que les lettres des femmes – le roman du Sérail, nous avons resserré encore plus cet espace-temps. De ce fait, et grâce au regard juste et incisif d’un génial Montesquieu, ces lettres de femmes deviennent universelles, un récit en soi, qui devient alors adaptable en scène.
Drôle d’aventure que celle d’endosser ces rôles de femmes, leur colère, leur amour, leur attente, leurs désirs inassouvis, leur incompréhension. Tant d’étapes par lesquelles sont passées les femmes d’Usbeck pendant les 12 années de son périple.
Ces femmes aux âges et aux caractères bien différents, desquelles il faut tirer la sève et trouver la justesse, dans cet exercice de style qui consiste à les interpréter l’une après l’autre en gardant leur personnalité, mais aussi en cherchant à ce que ces voix n’en soient qu’une.
Les images vidéo projetées ont été pensées comme une matière abstraite, et surtout pas comme une illustration. Elles deviennent presque un partenaire, elles habillent le lieu, lui donnent le décalage nécessaire et sont un appui physique à cette transposition.
Quant au travail de danse, il s’est monté dans une évidence de sens, des sens ; le corps et ses mouvements en tant que présence, la danse-théâtre. De par la multiplicité des caractères à interpréter, ce théâtre physique a pris lui aussi plusieurs couleurs :
Corps enfermé, confiné, objet des désirs d’Usbeck
Corps sensuel, prédestiné et éduqué en ce sens
Corps résigné
Corps révolté
Projet Roxane a été créé dans le plaisir de transmettre ces lettres, dans la volonté de les rendre accessibles au plus grand nombre, afin que par cet échange germent la curiosité et le doute, moteurs de remise en question et donc de création.
Hélène Busnel, comédienne